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MON MÉTIER    Voir autrement





          Cette rubrique se veut une manière de regarder un tableau autrement. Ce que nous voyons ne suffit pas à tout
            comprendre. Quel est le message diffusé par l’artiste, dans quel contexte cette œuvre a-t-elle été réalisée,
                 à quel moment du parcours du peintre ? C’est à ce voyage découverte que nous vous convions.
                            Ce mois-ci, Nature morte, 1936, de Giorgio Morandi (Bologne 1890-1964)


                                               Équilibre




                                                          Michèle Dali
                   es pots, carafes,                                                   de Bologne et à Grizzana**, un
                   bols, bouteilles …                                                  village des Apennins, lieu de la
                   aux tons pastel                                                     maison familiale.
                   rassemblés dans                                                     2 supports : l’huile et la gravure
         D e belle harmo-                                                              en taille douce***. Autant la pa-
                     n
                   u
         nie : l’œuvre de Giorgio Morandi                                              lette des toiles reste presque
         pourrait se résumer à cette                                                   monochrome avec des gris-
         brève description. Simplicité.                                                bleuté, des ocre clairs, autant
         Pourtant, contempler l’une                                                    son œuvre gravée est forte,
         de ses toiles aussi délicates                                                 incisive, plutôt sombre. Sans
         qu’émouvantes invite au                                                       théâtraliser ses compositions,
         silence, ouvre des pans de                                                    Morandi les conçoit avec soin. A
         mémoire enfouis, apporte des                                                  propos des objets, “Morandi les
         instants de sérénité. Des ob-                                                 agence, les déplace, les aligne
         jets du quotidien reproduits                                                  ou les superpose inlassable-
         inlassablement, comme une           Giorgio Morandi , Nature morte, 1936 - Huile sur toile -   ment aux côtés des petits bols
         obsession. Les critiques l’ont    Mamiano di Traversetolo (Parme), Fondazione Magnani-Rocca  bleu et blanc et du flacon blanc
         approché de Giacometti pour ces répétitions de motif, évo-  cannelé…. Il les peint sur fond de grisaille, dans une ambiance
         quant tout aussi bien Monet pour les Nymphéas que Cézanne   dépouillée, leur conférant ainsi une véritable aura métaphy-
         pour la montagne Sainte-Victoire. Et Chardin qu’il admirait,   sique…”, peut-on lire sur le cartel de Nature morte, 1936.
         pour le goût des textures.                             La géométrisation de l’espace, sa position par rapport au
         Issu de la petite bourgeoisie de Bologne, Morandi montre   modèle, soit de face et en surplomb, l’intensité lumineuse en
         très jeune une passion pour la peinture. Au grand dam de   fonction de l’heure, tout confère au but visé par le peintre :
         son père mais avec le soutien de sa mère, il entre à l’Aca-  “toucher l’essence des choses”.
         démie des beaux-arts de la ville. Il en sort en 1913, sans   Toujours considéré comme l’un des peintres les plus impor-
         avoir appris grand-chose, avouera-t-il, mais sa formation   tants du XX  siècle, Morandi reste un artiste singulier. Son
                                                                          e
         l’a conduit à visiter musées et expositions à travers l’Italie.   œuvre figure en bonne place dans l’histoire de l’art moderne
         Il y découvre Cézanne, les cubistes. Jusqu’au début des an-  et les expositions qui lui sont consacrées depuis les années
         nées 20, il croise la route des futuristes, rencontre Giorgio   2000 attirent toujours les foules.  
         de Chirico et rejoint brièvement l’école métaphysique, par-
         ticipe à des expositions du Novecento à Milan mais aussi en   *A 18 ans, au décès de son père, aîné de 5 enfants, il devient chef de famille.
         Grèce, en Autriche, aux Etats-Unis, en France, en Allemagne…   Avec sa mère et ses sœurs, ils emménagent dans un appartement proche du
                                                                quartier historique
         toutefois sans s’y rendre. Il n’aime pas voyager et ne quitte   ** La famille y passait ses vacances et s’y réfugia durant la Seconde Guerre mon-
         guère sa ville natale de Bologne* où est installé son unique   diale. Le village prit le nom de Grizzana Morandi en 1985 en l’honneur du peintre
                                                                ***Où il excelle et obtient de nombreux prix comme le Grand Prix, à la Biennale
         atelier. Une philosophie de vie qu’il explique ainsi : “Certains   de São Paulo en 1953
         peuvent voyager à travers le monde et ne rien en voir. Pour
         parvenir à sa compréhension, il est nécessaire de ne pas   Où voir des Morandi
         trop en voir, mais de bien regarder ce que l’on voit.”   En Italie, à la Fondation Magnani Rocca à Mamiano di Traversetolo
         C’est à partir de 1921 que sa démarche artistique       (Parma), Bologne, Florence, Milan, Rome, Turin, Venise…
                                                                 En France, à Paris, Aix-en-Provence, Lyon, Grenoble…
         s’affirme. Il se limite aux 3 motifs qui, selon lui, valent d’être   Une exposition Giorgio Morandi présentant des œuvres
         peints : le paysage, les fleurs et les natures mortes. Pour   de la collection Magnani Rocca est en cours (mais pas ouverte
         ses paysages, Morandi trouve son inspiration aux alentours   actuellement) au musée de Grenoble.


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