Page 50 - Bien Vu 286 - Mars 2020
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MON MÉTIER    Voir autrement





          Cette rubrique se veut une manière de regarder un tableau autrement. Ce que nous voyons ne suffit pas à tout
         comprendre. Quel est le message diffusé par l’artiste, dans quel contexte cette œuvre a-t-elle été réalisée, à quel
          moment du parcours du peintre ? C’est à ce voyage découverte au cœur d’une œuvre que nous vous convions.
                 Ce mois-ci, Les Noces de Cana (1563) de Paolo Caliari, dit Véronèse (Vérone, 1528 - Venise, 1588)


                                       Scénographie




                                                         Michèle Dali
         67 m , soit 6,77 m sur 9,94 m, 130 person-
             2
         nages représentés … des repaires chiffrés
         qui permettent d’envisager l’ampleur du
         tableau. Conservé au Louvre, il est aisé de
         le trouver : il suffit de suivre la signalisa-
         tion conduisant à la Joconde et de se re-
         tourner. Il lui fait face, en toute modestie !
         Les Noces de Cana, l’un des plus grands
         tableaux du monde et au moins du musée,
         a été réalisé par Paul Véronèse en un peu
         plus d’un an*. Commandé en juin 1562
         par les Bénédictins du monastère de l’île
         de San Giorgio Maggiore à Venise, il leur a
         été livré en septembre 1563.
         Mais c’est moins pour sa vivacité que pour
         sa virtuosité que ce peintre de 34 ans a été
         choisi par les moines. Installé depuis 10 ans
         à Venise, sa notoriété en matière de déco-  Véronèse Les Noces de Cana (1562) - Huile sur toile H. : 6,77 m x L. : 9,94 m - Musée du Louvre
         ration et de réalisation de toiles immenses,
         notamment au Palais des Doges, le place sur le devant de la   orangés aux rouges vifs en passant par le lapis-lazuli, et son
         scène artistique, au même titre que ses contemporains, Titien   sens du décor ajoutent à la lisibilité du tableau.
         ou Tintoret. Il va réaliser une œuvre monumentale accrochée à   Ce tableau, dont la toile fut roulée, fut transporté par bateau
         2,50 m du sol, destinée à couvrir le mur du fond du réfectoire.   jusqu’à Paris en 1797 dans les bagages des troupes napoléo-
         Avec une liberté certaine, Véronèse transpose un épisode bi-  niennes***. Sa restauration, de 1990 à 1992, se déroula sur
         blique** en opulente noce. Dans cette vue panoramique sur le   échafaudage in situ. On imagine mal que Les Noces de Cana
         palais, inspiré des temples antiques, Véronèse scénarise l’une   puissent un jour quitter le Louvre. Même temporairement ! 
         de ces fastueuses fêtes vénitiennes, fréquentes à l’époque.
         Si le temporel l’emporte sur le spirituel, le Christ, entouré de la   *Véronèse plus rapide que Léonard de Vinci : ce dernier a en effet mis près de 3 ans pour
                                                                terminer la fresque de sa Cène à Milan en 1497 !
         Vierge et de ses apôtres, est bien présent au centre du tableau.   **Relaté dans l’Evangile de Saint-Jean, le premier miracle du Christ se déroule dans la ville
         Le seul à regarder le spectateur. Autre détail de composition :   de Cana. Invité à un repas de mariage, Jésus y transforme l’eau en vin
                                                                ***Œuvre cédée à la France selon le traité de Campo Formio. En 1815, l’Autriche qui occu-
         dans la partie supérieure se rapportant au céleste, un serviteur   pait l’Italie la réclama mais Vivant Denon, à la tête du Louvre, argua que le tableau serait
         coupe la viande, symbole mystique du corps du Christ, tandis   trop difficile à transporter !
         que la partie basse est dédiée au terrestre. Parmi les convives, le
         peintre fait côtoyer aristocrates, princes, clercs et époux instal-
         lés en bout de table (à gauche) mais aussi serviteurs, bouffons    Où voir des Véronèse 
         et pages. Selon une légende du XVIII  siècle, Véronèse aurait   Beaucoup se trouvent à Venise en Italie, mais on peut en
                                       e
                          er
         représenté François 1  et Charles Quint parmi les invités, Titien   admirer en France, à Ajaccio, Caen, Dijon, Douai, Lille, Lyon,
         et Bassano sous les traits de musiciens. Il serait assis, vêtu de   Montpellier, Paris, Rennes, Strasbourg, Toulouse, Versailles …
         blanc et bas jaunes, jouant de la viole de gambe…       A Amsterdam, Budapest, Cambridge, Dresde, Florence, Gênes,
         A ses audaces picturales, Véronèse argumentait : “Nous, les   Genève, Londres, Madrid, Milan, Munich, Rome, Tolède, Turin,
         peintres, prenons des libertés tout comme les poètes et les   Vienne… mais aussi Los Angeles, New York, Washington, Saint
         fous”.  L’emploi de couleurs vives et contrastées, des jaunes   Pétersbourg…


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